Article proposé par Coralie Havas, coach à Grimpeuses, également publié sur Grimper.com
Parce qu’on s’y sent généralement bien, nous avons tous tendance à idéaliser la communauté des grimpeurs et des grimpeuses. En réalité, ce qui nous rassemble avant tout, c’est cette même passion que nous partageons. Bien que le pied des falaises puisse souvent prendre la forme d’une microsociété, le monde de l’escalade n’est qu’un microcosme de l’humanité et par extension, il reflète les défauts de la société ainsi que les préjugés qu’elle véhicule. Des idées reçues tellement ancrées qu’on peine bien souvent à les apercevoir.
En associant « grimpeur/grimpeuse » avec « ouverture d’esprit », nous idéalisons et renforçons cette image du « grimpeur », de la « grimpeuse ». Mais ne nous voilons pas la face, l’être humain reste l’être humain et la bienveillance ne va pas toujours de soi.
Grimper n’est-ce pas avant tout être libre ? On se sent bien dans ce microcosme, dans cette petite bulle où l’on peut pleinement s’émanciper. Grimper pour s’évader. Fuir quelques minutes durant un monde oppressant, le stress ambiant ou bien une vie qui ne nous satisfait jamais et que l’on aimerait sans cesse recommencer.
A la genèse de Grimpeuses, une question essentielle : « Est-ce que tout le monde peut expérimenter ces intenses moments de bonheur au gré des mouvements ? Cette libération mentale et physique, cette vague impression de s’oublier et d’être paradoxalement pleinement soi-même ». Nous n’en étions pas sûres parce que nous aussi, il nous arrivait parfois d’être mal-à-l’aise, de ne pas avoir confiance...
Depuis le début de l’aventure, notre objectif est simple : donner aux autres filles la possibilité et leur transmettre l’envie – qu’elles ont bien souvent au fond d’elles-mêmes – de s’exprimer pleinement. On connaît ce sentiment de bien-être durable que cela procure de se dépasser, de sortir de sa zone de confort, de grimper en étant totalement libérée (du regard des autres mais aussi de ses propres préjugés). Nous voulons donc simplement exprimer ce qui nous fait vibrer, en tant que grimpeuses et tenter de partager ces émotions qui nous transportent de voies en voies, de projets en projets.
Cependant nous n’en avions pas anticipé les conséquences : nous, filles de l’organisation allions être touchées par cet échange d’énergie qui dure une journée. D’ailleurs, participantes et coaches ont toutes appris les unes des autres. Chacune, avec son vécu en tant que femme, avait une pierre à apporter à l’édifice.
Dans un climat où le féminisme ambiant a légèrement tendance à vouloir renverser la tendance patriarcale, nous voulons viser l’égalité tout en ayant conscience qu’hommes et femmes ont des caractéristiques physiologiques différentes ; qu’un grimpeur et qu’une grimpeuse possèdent des atouts distincts permettant d’évoluer sur le rocher.
Pour parler un peu sociologie, la construction sociale a fait qu’on place plus ou moins inconsciemment les femmes dans un état d’insécurité corporelle et de dépendance symbolique face aux hommes. Tout le monde a tendance à accepter ça parce qu’on ne s’est jamais réellement posé de questions. Dû à cette instinctive et insensée opposition entre virilité et féminité dans nos sociétés, certaines filles n’osent pas s’imposer parmi les hommes. Qui n’a jamais assisté à une démonstration de testostérone au pied des voies ? Ce n’est pas facile de s’y sentir à l’aise quand on est une femme. Pourquoi rester à l’écart ? Parce que la société nous a modelées ainsi ?
D’autres femmes préfèrent rester dans l’ombre par facilité, par peur. Qui n’a jamais préféré avoir une moulinette montée par son copain ? Autre fait, récemment, j’ai vu un homme au relais d’une voie demander à sa copine de façon insistante si elle était « sûre de vouloir y aller en tête parce que c’était dur ».
Quand Caroline nous a parlé de l’événement, j’étais encore une adolescente un peu naïve. Je ne me sentais aucunement envahie par des élans féministes, encore moins concernée par cela. D’après moi, c’était devenu un sujet racoleur qui faisait vendre des livres et des places à des colloques.
Il y avait cependant quelques instants à la salle d’escalade où je commençais à éprouver de la gêne face à des regards pesants et de la drague plus ou moins indirecte. A dix-sept ans, cela m’a amenée à passer du débardeur au long tee-shirt cachant ainsi mes fesses moulées par un legging. Je me sentais super à l’aise pour grimper en legging, pourquoi aurais-je dû m’en priver ? Par rapport au regard des autres ?
Mais disons que tout cela était inconscient ou peut-être que ma vision utopique sur la société et surtout sur le monde des grimpeurs faisait que je me voilais la face. Et puis en même temps, je connaissais des filles qui profitaient d’un décolleté plongeant pour récolter un peu plus de likes sur Instagram… Alors avais-je mon mot à dire ?
A vrai dire, je dois bien avouer qu’on m’a toujours laissée ma place en tant que grimpeuse, en tant que fille. Avec du recul, je sais bien que ce n’est pas le cas de tout le monde.
J’étais enfant lorsque j’ai débuté l’escalade. Tout ce que je voulais c’était grimper alors naturellement, je me suis imposée. Avec mon grand sourire, je demandais : « Ça ne te dérange pas si je grimpe en premier ? ». J’ai toujours été guidée par la passion, ça a donné des ailes à l’enfant timorée que j’étais. Grimper était naturel pour moi, je m’y sentais libre. Et ça m’a donné une voix, une confiance qui m’aurait été bien plus difficile d’acquérir sans cela.
De plus, j’ai toujours eu plus d’amis garçons que filles. Pourquoi ? Parce que j’avais, moi-même en tant que fille, cette idée que la société nous implante dans le crâne : les femmes sont plus faibles. Moi, je voulais être forte alors je me suis entourée de ceux qui gagnaient à la balle au prisonnier à l’école et plus tard de ceux qui grimpaient avec aisance dans les gros dévers terminant la séance avec eux sur la barre de tractions. Ces garçons-là qui m’ont accompagnée durant mon adolescence ne m’ont nullement rappelée que j’étais une fille, que j’avais moins de force physique qu’eux. C’est d’ailleurs entourée de garçons que j’ai fait ma première traction sur une branche d’arbre. Applaudie par deux copains et mon père. Alors un événement rien que pour les filles, à quoi bon ?
Cependant, dans le mail de Caroline qui nous parlait de l’intérêt de cette journée, une phrase a retenu mon attention :
« L’idée est finalement de pousser les filles à réellement s’impliquer dans leur grimpe, à prendre acte de leurs souhaits, envies et peurs et finalement à progresser en tant que grimpeuses, en tant que personnes ».
Ainsi, j’ai pris conscience qu’il m’arrivait souvent d’être une grimpeuse suiveuse. Par facilité, par refus d’avoir peur. Honnêtement, quand la chute en tête est terrifiante, il est bien plus facile d’aller dans une voie quand les dégaines sont déjà en place ou mieux quand une moulinette est posée. Quelques mois plus tard, en grandissant, j’ai compris qu’il y avait deux types de peur : celle qui te maintient en vie et celle qui te paralyse. Cette dernière, c’est un frein. Et si tu arrives à la surpasser, ça te donne des ailes.
Sans transition, j’aimerais vous parler de mon plus beau souvenir en escalade. C’était à Mouriès lors de mon premier 7a à vue. Comme une grande, j’ai placé mes dégaines au fur et à mesure que les points se présentaient à moi. Mis à part mon combat mental pour m’engager au-dessus du point, ce dont je me souviens le plus, ce sont des mots de mon assureuse qui me rappelait sans cesse de « monter les pattes » et d’avancer me faisant ainsi aller au-delà de mes hésitations. Cette bienveillance dans les encouragements m’a poussée à dépasser mes peurs, à être fière de ce que je pouvais accomplir. Je me suis sentie vivante.
C’était un an avant que Grimpeuses ait lieu. Et c’est sur cette falaise du Sud de la France que j’ai compris qu’être entourée par des gens qui t’accompagnent à sortir de ta zone de confort, qu’oser aller plus haut et dépasser les limites que tu t’es mentalement fixée t’apporte des émotions inoubliables.
Un an après, j’encourageais à mon tour une fille à aller au sommet de son bloc engagé. Et que dire de cette énergie nouvelle et porteuse que je découvrais !
Une journée entre femmes pour apprendre ensemble et tenter de s’éloigner quelques heures de tous ces préjugés sociétaux.
Une journée sans cris exagérés lors de la réalisation d’un mouvement difficile, sans torses nus par 10°C, etc. Bien-sûr ce n’est pas une généralité, tous les hommes ne sont pas comme cela et certains ont conscience que les filles sont mal-à-l’aise avec de tels comportements.
Cependant d’autres, sur les réseaux sociaux, nous ont interpellées en disant « Si jamais on créait un événement rien que pour les hommes, on se ferait taper dessus et traiter de misogynes ». Ce ne serait pas faux mais la question n’est-elle pas plutôt de quels préjugés auraient-ils à se libérer ?
En résumé, Grimpeuses c’est un événement sans prétention où les coaches ne sont pas plus vertueuses que les participantes. Nous n’avons nullement l’arrogance de vouloir éduquer - ni les femmes ni les hommes - et encore moins de changer les mentalités. Tout ce qui nous tient à cœur c’est de partager nos expériences et de progresser ensemble. Et parfois, on arrive même à aller un peu voir ce qui se passe derrière la barrière des préjugés.
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