Que vous soyez grimpeuse ou non, il est peu probable que vous ayez entendu parler de Laura Pineau. Elle vient pourtant de signer une performance d’ampleur : l’enchaînement de « Greenspit », un 8b+ trad en fissure chargée d’histoire, longtemps considérée comme la plus difficile d’Europe. Mais au-delà de sa réalisation, ce qui nous a le plus marqué chez elle, c’est son état d’esprit. Car voilà quelques années déjà, à force de persévérance mais surtout de passion, elle se construit, voie après voie, un impressionnant CV dans l’escalade, aussi bien sur les bigwalls du Yosemite que sur les falaises italiennes.
Dimanche 6 octobre. C’est dans les confins de la vallée dell’Orco, en Italie, dans un van au pied de « Greenspit », voie qu’elle vient d’enchaîner la veille, signant au passage la 2e répétition féminine, que nous apprenons à connaître Laura Pineau. La grimpeuse française vit actuellement entre les États-Unis et l’Europe, sans véritable pied-à-terre. Son truc à elle ? Le trad. Et plus particulièrement les fissures, une discipline encore principalement pratiquée par les hommes. Pas de problème pour Laura, qui passe aisément au-delà des stéréotypes. Guidée par ses objectifs, la grimpeuse sait où elle va. Sans pression. Mais avec une détermination sans faille. Une évidence à l’issue de cette interview.
On te surnomme « Mademoiselle Fissure ». D’où ça vient ?
Ça fait deux ans que je pratique l’escalade en fissure, depuis 2022. Et cela fait sept ans que je grimpe. J’ai commencé par le psychobloc, au-dessus de l’eau, pas très loin de chez mes parents à Toulon, dans un endroit où j’allais quand j’étais petite pour sauter des rochers avec mes copains. Un jour, j’ai rencontré un grimpeur qui s’appelait Fred. Il m’a emmenée pendant quatre heures faire le tour des falaises. C’était vraiment génial, et très addictif, je dois bien l’admettre. […] J’ai ensuite été acceptée aux États-Unis, dans une école de commerce qui rassemblait plus de 100 nationalités d’étudiants. Humainement, c’était incroyable. J’ai appris à parler plusieurs langues et à communiquer avec des personnes issues de cultures totalement différentes.
C’est à ce moment-là que je me suis mise à l’escalade en fissure. Je pense que cette pratique est un peu plus développée aux États-Unis, où il y a énormément de spots où les grimpeurs ne font que de l’escalade en fissure en extérieur. Pas de bloc, pas d’escalade sportive. Après mes études aux États-Unis, j’ai eu un visa de travail d’un an. J’ai acheté un van, en me disant que je m’en servirais uniquement pendant les week- ends, que je louerais un appartement et que j’aurais une vie un peu normale. Mais en réalité, j’ai complètement adoré la vie en van. À tel point que j’ai décidé d’y rester toute l’année. C’est ainsi que je me suis retrouvée dans des lieux où les personnes vivant dans des vans aux États-Unis se retrouvent – il y a une communauté qui bouge d’un endroit à un autre, en fonction des saisons.
J’ai ensuite rencontré, lors d’une conférence, Brittany Goris [l’une des meilleures grimpeuses de trad aux États-Unis, ndlr], que je ne connaissais absolument pas. Mes amis me disaient : « Mais si, elle fait de l’escalade en fissure, elle est super forte ». Je suis allée la voir et je lui ai demandé si ça lui disait qu’on grimpe ensemble, parce que je n’avais pas beaucoup de partenaires de grimpe, et que j’aimerais bien grimper avec des filles aussi. Elle m’a donné une chance, et nous sommes allées faire de l’escalade ensemble pendant deux mois. Je l’assurais dans ses projets, et elle m’a appris l’escalade en fissure pendant ses jours de repos, et entre ses essais.
Ton approche de l’escalade est assez tournée vers l’aventure. Ce qui est assez atypique, d’autant plus pour une femme.
Oui, c’est vrai. Mais ce que j’aime, c’est être dans la nature, toujours sur des voies différentes, à vivre de grandes émotions dehors. […] Peu de femmes pratiquent le trad, et j’aimerais vraiment changer cela.
D’autant plus que sur les réseaux sociaux, on voit souvent des photos de grosses chutes, de gens qui retombent au sol. Des images assez terrifiantes qui ne reflètent pas la réalité de la plupart des ascensions. C’est juste que ce sont ces moments-là qui sont montrés. J’aimerais dire qu’on peut grimper en fissure de manière sécurisée. […]
Dans les fissures pour débutants, on peut placer des coinceurs là où on veut. Donc, si on veut en mettre tous les mètres, on peut le faire pour se sentir en sécurité au début. […] Je pense qu’il faut juste apprendre avec la bonne personne. J’ai eu la chance d’avoir Brittany, qui a pris le temps de me montrer ce qu’est un bon coinceur. Elle m’a dit que je devais m’entraîner à chuter pour que mon cerveau comprenne que ça tient. Parce qu’au début, on n’a pas cette confiance. L’important, c’est d’avoir un bon mentor, d’y aller pas à pas, et d’accepter de revenir à un niveau de 5a ou 5b, et de redevenir débutant. Ce qui est en même temps génial, car un nouveau monde technique s’ouvre à nous !
On t’a vue en falaise, pendant que tu travaillais « Greenspit ». Tu adoptes, à haute voix, un discours très positif envers toi-même. Ça a toujours été comme ça ?
À la base, j’étais quelqu’un qui, lorsque je ne réussissais pas, se mettait dans une colère noire. Ça pouvait m’arriver de pleurer, de refuser de finir la voie. Je me mettais vraiment une grosse pression. Puis, j’ai lu « La voie des guerriers du rocher » d’Arno Ilgner. Ce livre a complètement changé ma manière d’aborder l’escalade, car il explique comment gérer la peur de la chute en premier lieu.
Mais au-delà de ça, il souligne qu’on apprend toujours quelque chose à chacune de nos ascensions. Et que tout cela va dans une « boîte à outils », où l’on range tous les petits détails, toutes les leçons que l’on tire. Dès que j’ai lu ce livre, je me suis dit que j’allais apprendre quelque chose de chaque voie que je ferais. […] C’est pour cela que je suis toujours dans une optique d’apprentissage : qu’est-ce qui m’a bloquée dans la voie ? Est-ce ma peur de la chute ? Mon coincement, que j’ai mis en cinq secondes au lieu de deux ? Une main mal placée ? Ou peut-être que les conditions n’étaient simplement pas bonnes ?
Ce livre a vraiment changé ma façon d’aborder l’escalade, mais aussi mon comportement et l’impact que j’ai sur les autres. Oui, on peut s’énerver quelques secondes après un échec, il faut parfois évacuer la pression, et c’est normal. Mais je n’aime pas quand cela dure trop longtemps, que l’on s’enferme dans la colère, qu’on s’insulte, qu’on insulte le monde entier ou qu’on pleure. Quand on se met dans cette énergie négative, c’est très difficile d’en sortir, et cela affecte aussi les autres. Selon moi, il faut rester positif, travailler les prises, respirer. Ce n’est pas la fin du monde. Ce n’est que de l’escalade, après tout. […] Et puis, si ça ne passe pas aujourd’hui, ça passera demain.
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