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Grimpeuses

L'écologie à Grimpeuses : "J'aime juste inventer des voyages à la force de mes jambes"

On oublie parfois que Grimpeuses, c'est aussi un engagement fort sur les questions environnementales. Echanges avec Coralie, bénévole depuis la première heure qui a récemment décidé de faire de plus de kilomètres à vélo pour aller grimper.


Crédits photo : Coralie Havas


L'un des premiers objectifs de Grimpeuses est depuis sa création d'encourager les femmes à s'engager dans la grimpe en développant leur leadership, leur confiance en elles et leur compétences. C'est pourquoi dès les premiers rassemblements en 2018, Grimpeuses s'est efforcée de faire converger les préoccupations présentes au sein du monde de l'escalade : la place des femmes dans les rôles de lead (en cordée, dans les métiers de la montagne...), la déconstruction des normes de genre qui imposent aux femmes et aux hommes des pratiques allant à l'encontre de leur santé physique et mentale (troubles alimentaires, prises de risque dans la grimpe, gestion des émotions...), et l'impact de notre pratique sur le monde du vivant. Et c'est ce nous souhaitons développer dans cet article avec Coralie, bénévole engagée dans Grimpeuses depuis le début, et également concernée plus personnellement par tous les enjeux environnementaux gravitant autour de l'escalade.


Aujourd'hui, il ne se passe pas une sortie de magazine de grimpe ou de montagne sans que le sujet de la protection environnementale n'y soit abordé : surfréquentation, restrictions d’accès, pratiques polluantes, espèces protégées en danger, etc. Pourquoi Grimpeuses, plus connue pour son engagement féministe, s’est emparée de cette question, et comment agit-elle concrètement ?


C’est vrai que le sujet environnemental est de plus en plus présent dans les médias. J’écris des articles à ce sujet quasiment chaque semaine… Donc je vois très bien ce que tu veux dire. Et c’est une bonne chose selon moi, car on ne parlera jamais assez de la question environnementale !


Grimpeuses s’est emparée de ce sujet parce qu’à mon avis, l’équipe organisatrice injecte la plupart de ses valeurs personnelles, voire même de ses combats, dans le projet. L’écologie en fait partie. C’est un sujet qui me tient très à cœur. Certainement parce que j’y suis sensibilisée de part ma pratique des sports outdoor. Difficile de ne pas ressentir le changement climatique quand on a l’habitude de randonner tous les étés en montagne. Grimpeuses et l’écologie… c’est une évidence pour moi. D’abord parce qu’on commence à nous écouter. Alors autant utiliser notre voix pour défendre la cause environnementale. Et puis parce que je crois que les petites adaptations que l’on met en place au quotidien pour réduire notre empreinte carbone ont un réel pouvoir transformateur. Je pense notamment à tout ce qui concerne la mobilité douce. Interroger nos modes de déplacement élargit notre spectre de possibilités. Nous invite à inventer, à questionner nos pratiques, nos croyances, à grandir aussi. Je ne peux qu’y voir du positif pour chaque être humain. C’est ce que l’on essaie de faire à Grimpeuses. 


On met aussi en place plein de petites choses sur nos événements. Ça va de la limite à 100 inscriptions par week-ends (afin de ne pas saturer les milieux environnementaux dans lesquels on évolue) à la suppression des goodies en passant par la sensibilisation à une pratique plus responsable de l’escalade. 


Actuellement, nous voyons énormément de grimpeuses et de grimpeurs mettre en avant leurs pratiques pour sensibiliser la communauté de l’escalade à mieux considérer son environnement. Pratique phare, l’utilisation des mobilités douces (vélo, train) pour accéder aux spots de grimpe. Pourquoi cet engouement qui semble émerger d’un coup, et quels sont les avantages à utiliser ces moyens de transport ?


Je n’ai pas l’impression que cela ait émergé d’un coup. Il y a eu quelques prémices au début des années 2000. Je pense à la traversée de l’arc alpin de Patrick Berhault, à vélo et à ski. Ou encore au projet des 3000 de l’Ubaye par Nicolas Jean, une jolie aventure mêlant alpinisme, vélo et parapente. Ça m’a très vite inspirée ! Il est vrai qu’actuellement, on entend davantage parler de ce genre de projets. Peut-être que parce que la prise de conscience environnementale est plus massive. Et que l’écologie est un sujet plus « vendeur » (on pourrait dire beaucoup de choses sur ce dernier point d’ailleurs). 


Les avantages sont nombreux. Le plus évident demeure la diminution de l’empreinte carbone. Mais je pense que cela ne doit pas être notre seule motivation. Car quand on dézoome, il y a quand-meme un petit côté déprimant à tout ça. Dans le sens où prendre le vélo au lieu de la voiture pour aller grimper, c’est bien. Mais ça ne suffira pas à ne pas dépasser les 1,5 degrés de réchauffement fixés par les accords de Paris, il faut bien en être conscient. 


Je trouve que la mobilité douce permet de donner un nouveau souffle à nos pratiques. Et à redéfinir la notion de performance. On parle de plus en plus d’ecopoint en escalade. Gravir une voie en mode ecopoint, ça veut dire l’enchaîner en s’étant rendus à la falaise en mobilité douce. Ainsi, l’aventure plus belle selon moi, parce qu’elle démarre dès que tu claques la porte de chez toi. Et t’invite à aborder la grimpe de manière un peu plus humble, sachant que tu as beaucoup de kilomètres dans les jambes en amont. Je crois que j’aime de plus en plus le fait que l’escalade ne soit pas une fin en soi, mais un moment chouette qui contribue à une excellente journée. 


Crédits photo : Coralie Havas


Tu as récemment réalisé le trajet Lyon -> L’Argentière-la-Bessée par des moyens doux. En train jusqu'à Grenoble, puis en vélo en passant par Le-Bourg-d’Oisans et le col du Lautaret. Qu’est ce qui t’a motivée à faire ce trajet de cette façon ?


Je ne sais pas trop finalement ! Je crois que j’aime juste passer du temps dehors. L’idée a germé un peu par hasard dans ma tête. De base, je voulais juste aller rendre visite à Caro (ndlr Caroline Ciavaldini), James (ndlr James Pearson) et les enfants à L’Argentière. Puis, ça a déraillé (sans mauvais jeu de mots). Et une fois que ce projet était dans ma tête, que j’avais compris que j’en étais capable (tout en sachant que ça allait difficile pour moi), je n’ai pas réussi à le faire sortir de mon esprit. 


Me déplacer de manière plus propre était l’une de mes motivations. Mais ce n’était pas la seule. Sinon, j’y serais uniquement allée en train. L’Argentière, c’est à 5h de Lyon. Là, j’ai mis 2h30 de train et plus de 10h de vélo. Avec plein de péripéties - ce qui fait que je vais me souvenir très longtemps de ce projet. En résumé, je crois que j’aime juste inventer des voyages à la force de mes jambes, être dehors et me dépasser physiquement et mentalement. 


S’ajoute à cela une dimension intellectuelle intéressante : j’ai l’impression de faire pause dans ma vie. Et de me concentrer sur les choses essentielles - boire, manger et avancer. Rien de plus. Au bout de 2-3 heures sur le vélo, j’arrive à me faire de la place à autre chose que ces instincts primaires. Je me mets réfléchir sur ma vie, mes relations, mes aspirations, mes envies. Ça m’apaise je crois. Me structure aussi. Et j’ai l’impression d’être une meilleure personne à l’issue de ce genre d’aventure. Car j’en ressors plus épanouie. Plus sure de qui je suis, de ce que je veux aussi. Finalement, c’est assez égoïste comme truc. Et l’écologie n’est qu’un prétexte à un développement personnel. Du moins c’est comme ça que je le vis. 


Traverser deux départements montagneux, ça a de quoi impressionner. As tu rencontré des difficultés pendant ce trajet ? Et si oui, comment les as-tu surmontées ?


Bien-sûr que j’ai rencontré des difficultés. Pendant le trajet. Mais aussi avant. Car il a d’abord fallu que je me fasse confiance, ça a été le plus difficile je crois. La question « Est-ce que je vais y arriver ? » m’a empêchée de dormir la nuit avant mon départ. Mais pendant cette insomnie, j’ai décidé que j’avais le droit de douter, le droit d’avoir peur. Parce que ce projet, c’était un truc nouveau pour moi. Je crois qu’il fallait que j’assume mes ambitions en quelque sorte. Ce que j’ai choisi de faire. Avoir le courage de m’engager dans ce projet. Ça n’a pas été facile.  


Ma plus grande crainte était de ne pas être physiquement capable. J’ai alors mis en place quelques règles de base : bien manger, bien boire, faire des pauses dès que j’en ressentais le besoin. Une forme de bienveillance envers moi-même. Que je n’ai toutefois pas poussée à son paroxysme. L’idée étant d’avancer - et d’arriver au bout ! 


Niveau physique, tout s’est très bien passé. Même si les derniers kilomètres de montée vers le col du Lautaret ont été un véritable enfer - plutôt mental je dirais. Je n’en voyais pas le bout, c’était horrible ! J’ai aussi dû faire face à quelques aléas. Peu après Le-Bourg -d’Oisans, vers le 50e kilomètre, un bout de route était fermé. Je ne savais pas sur combien de kilomètres, je n’avais aucune info. Alors j’ai adapté mon itinéraire sans trop savoir si ce que je faisais allait me ramener sur une route praticable. L’histoire est longue. Mais en gros, je me suis rajoutée 20 kilomètres, 300 mètres de dénivelé positif… et j’ai fait un tour de téléphérique gratuitement avec mon vélo qui volait dans les airs. Je suis ressortie de ce moment très fière de moi (ça n’arrive pas souvent). Et surtout consciente qu’avec de la volonté, j’étais capable de déplacer des montagnes. Cette péripétie m’a beaucoup appris sur moi-même. Sur ma capacité d’adaptation. 


Crédits photo : Coralie Havas


Ce trajet rentre dans la préparation d’un gros projet vélo en amont du rassemblement Grimpeuses Ailefroide prévu le 15 & 16 juin prochain. Peux-tu nous en dire un peu plus ? Et pourquoi c'est important pour toi d’associer vélo et Grimpeuses ?


J’ai une liste de rêves que je nourris depuis plusieurs années. Et des fois, j’ai un déclic : le rêve devient objectif. Je me mets non plus à espérer, mais à y croire. À mettre des actions en place pour le réaliser. 


Voilà deux/trois ans que j’ai dans cette liste une ligne intitulée « aller à Grimpeuses à vélo ». Rien de plus. Je ne me souviens pas exactement de quand j’ai écrit ça. Ça a longtemps été une envie floue, une chimère en quelque sorte. Principalement parce que je n’avais pas encore la condition physique pour y arriver.  Et puis fin décembre, alors que j’étais en plein questionnement existentiel, tant sur ma vie pro que perso, Victoire (l’une de nos supers photographes à Grimpeuses) est venue vers moi avec une idée de projet. Elle voulait que l’on participe à un concours organisé par Protect Our Winters, une asso qui milite pour l’environnement à travers la pratique des sports outdoor. Le but ? Proposer une aventure en mobilité douce. On devait à l’origine pédaler jusqu’en Savoie avant de venir à Grimpeuses. On a un peu revu notre tracé depuis, pour explorer davantage de massifs dans les Alpes du Sud. Et comme je l’ai dit plus haut, passer du temps dehors est un bon moyen de faire le tri dans mon cerveau. Je crois aussi qu’à ce moment-là, j’avais besoin d’un projet pour me donner une direction. C’était donc parfait.  


J’aime beaucoup l’idée d’arriver à Grimpeuses après avoir passé sept jours dans les montagnes. On ne sera certainement pas les plus en forme pendant le week-end, on peut déjà l’affirmer ! Mais finalement peu importe. Car pour nous Grimpeuses, c’est avant tout un superbe prétexte pour passer du temps entre copines. Autour de ce que l’on aime le plus : la grimpe. On sera comblées. J’espère aussi que l’on aura de belles choses à raconter ! 


J’en profite pour dire que l’on invite toutes celles et ceux qui veulent faire quelques kilomètres avec nous à se manifester. Seule contrainte : accepter de se mettre en mode escargot. Parce qu’au vu du poids de nos vélos, on n’ira pas très vite, c’est certain. Bref, on serait ravies de partager un bout de route avec vous !


Qu’est ce qui peut freiner aujourd'hui les grimpeuses et les grimpeurs à s’intéresser à ces questions, et qu’est ce que l’association Grimpeuses peut développer en plus pour les mobiliser ?


Ce n’est que mon avis, mais je crois que le principal frein, c’est le manque de temps. Avec nos vies à 10 000 à l’heure, on fait passer beaucoup de choses au second plan. Moi la première. Mais dans ma frénésie, j’apprends à faire pause. À dédier du temps pour ce qui compte vraiment. Et avec le peu de recul que j’ai, je crois que la mobilité douce est une invitation à la réflexion - j’ai toujours de superbes idées d’articles sur mon vélo ! Créer du vide pour laisser l’esprit vagabonder, c’est finalement une manière d’être productive.


J’ai aussi appris à me détacher de la performance en escalade - même si j’adore ça. Ce que je veux dire, c’est que lorsque je vais grimper à vélo, j’ai moins d’attente en ce qui concerne ma grimpe. Je crois que je me mets moins de pression. Et paradoxalement, ça m’est bénéfique. Je me souviens d’une séance à Seynes (05) où j’étais venue en vélo depuis chez moi, en mode mistral, avec la corde sur le dos, etc. Une vraie mission. Rien que d’arriver à la falaise était une victoire. Je l’ai appréciée. Avant d’enchaîner sur une séance de grimpe. L’enfer sur le vélo face au vent m’avait simplement mieux échauffée : j’ai bien grimpé. Mieux, j’ai passé une super journée. Je crois que parfois on se met des barrières mentales pour pas grand-chose. Surtout quand on écoute un peu les autres qui nous disent « tu en fais trop », « tu vas être fatiguée », « ce n’est pas raisonnable ». L’un des buts de Grimpeuses, c’est de faire tomber toutes ces croyances, n’est-ce pas ? 


Continuer de valoriser ces aventures est un beau moyen selon moi de montrer que c’est possible. C’est d’ailleurs pour ça que j’ai décidé de raconter mes péripéties à vélo dans cet article. Parce que j’ai une vie conventionnelle en parallèle de ces projets - et pas une condition physique hors du commun. Alors si j’arrive à les mener, c’est uniquement à la force de ma volonté. Et ça, c’est accessible à tout le monde. Il suffit de faire des choix. Je n’ai par exemple pas le temps de passer des heures sur les réseaux sociaux, devant Netflix ou en boîte de nuit. Ces heures-là, je préfère les dédier au vélo, à la grimpe, ou encore à la course à pied. Je ne dis pas que c’est la direction idéale pour une vie épanouie, mais c’est la mienne. Je m’y sens bien (pas tous les jours, j’ai des névroses comme tout le monde). Dans une quête de cohérence, ces décisions ont du sens pour moi.  


Et sinon, dans ma liste de rêves, j’ai aussi une autre ligne : « Aller TOUTES ENSEMBLE à Grimpeuses en vélo ». J’imagine un projet où une partie de l’équipe Grimpeuses (pas toute, parce qu’il y a quand-même un événement à organiser !) viendrait au rassemblement du week-end à vélo en faisant des détours pour aller chercher les participantes chez elles. Et que l’on arrive toutes ensemble à Grimpeuses. J’aime bien l’idée. La dimension de partage. Ça enlèverait aussi le frein de « partir seule », un vrai sujet ! Ce rêve n’est pas encore un objectif. Il le deviendra peut-être un jour, qui sait. 


Crédits photo : Loïc Lemahieu


Un.e grimpeur.euse s’intéresse à ces questions. Qu’est ce qu'on lui conseille comme livre, article, site, ou personne inspirante ?


Il y a d’après moi deux sources d’infos différentes. D’une part, l’aspect scientifique, pour s’éduquer, comprendre ce que l’on entend par « changement climatique ». C’est le moins fun, mais c’est essentiel. Je n’ai rien de révolutionnaire à proposer de ce côté-là. J’en vois trois : le média Bon Pote (qui parle d’écologie de manière très large avec des articles de fonds passionnants), l’ouvrage « Le grand livre du climat » de l’activiste Greta Thunberg (il faut parfois s’accrocher un peu, mais le changement climatique y est expliqué de manière très pédagogique - surtout pour celles et ceux qui auraient la flemme de se plonger dans les rapports du GIEC) et la page Instagram de Protect Our Winters (pour une approche environnementale recentrée sur les sports outdoor - ils ont aussi un podcast, tout autant passionnant). 


Vient ensuite l’aspect inspirationnel. Sans cela, je ne me serais certainement jamais lancée dans ce genre de projet à vélo. Il a les aventures que j’ai citées tout à l’heure, celles de Berhault et de Nicolas Jean. Mais pas que. Il y a aussi ce qu’ont fait Caro et James, quand ils se sont lancés dans le tour des Alpilles peu après le confinement. Je les avais rejoins (en voiture !) à Fontvieille pour grimper. Ce moment, et leur périple en général, a je pense planté une petite graine dans mon esprit. Dans le sens où j’ai réalisé que « y’a pas que l’escalade dans la vie pour s’amuser dehors ». Je le savais déjà, mais ça a fait naître en moi de nouvelles options auxquelles je n’avais pas forcé pensé jusqu’alors. Et puis, il y a les aventures d’Eline (ndlr Eline Le Menestrel) qui avale beaucoup, vraiment beaucoup, de kilomètres pour aller grimper. Ça me parle bien. Elle a récemment relié Embrun au Verdon pour faire une grande voie en 8a+ max avec Solène Amoros et Manon Bérend. Le projet parfait à mes yeux : des copines, de la grimpe, du vélo et une jolie performance !


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